Je voudrais partager ici le récit de ce que j’ai vécu l’été dernier durant ces 4 jours et 4 nuits de quête de vision, en solitude, silence, jeûne sec, dans un espace limité à 2m² environ.
Une autre manière de vivre cette expérience :
Qu’est-ce qu’une quête de vision ?
Le rituel de la quête de vision fait partie de la « voix rouge » employée par les amérindiens, plus particulièrement les Sioux Lakota. La voix rouge est la voix du Cœur : c’est la voix de la pacification intérieure, de l’acceptation de toutes les parts de soi, du pardon de tout ce par quoi nous avons pu passer pour être celui que nous sommes aujourd’hui. Et c’est aussi, par conséquent, la voix de la pacification des relations extérieures. Celui qui a franchi les 4 étapes de la quête de vision, échelonnés sur 4 années représentant les 4 grandes directions cardinales, peut aspirer à être « porteur de la pipe » : il sera un médiateur auprès de ses consœurs et confrères humains, porteur d’un discours et d’une manière de vivre pacifiques.
4 années pour « gravir la montagne » de la connaissance et de la pacification de soi-même.
Dans la tradition Lakota, la quête de la première année s’étale sur 4 jours et 4 nuits. La couleur de cette quête est le rouge, couleur de l’Est, du commencement (le soleil levant), et le travail sera celui de l’Humilité. Le quêteur est au pied de la montagne, dans un mélange d’appréhension et d’enthousiasme. C’est le printemps, le renouveau.
L’année suivante, il s’agit de travailler la Volonté. L’ascension de la montagne commence, sur 7 jours et 7 nuits. La couleur de cette quête est le jaune, la couleur du Sud, celle de la Terre, du corps physique qui pèse, du Soleil à son zénith, de l’été qui brûle.
La 3ème année, le quêteur entre par la porte de l’Ouest : la porte noire, celle de la transformation, de l’initiation, de la mort-renaissance. Il est au sommet de la montagne et va y rester 9 jours et 9 nuits, à la recherche de lui-même. Il travaille l’Authenticité.
Enfin, la 4ème année, le quêteur redescend de la montagne par la porte du Nord, la porte blanche, celle de l’intériorisation, du mental, de l’Hiver, de l'intégration des autres couleurs. Il travaille l’Intégrité, le Don de soi, et sera prêt à partager sa connaissance ; il devient porteur de la pipe. Il aura passé 13 jours et 13 nuits dans cette ultime quête.
En France, la durée de chaque quête, au sein du processus des 4 années, est ramenée à 4 jours et 4 nuits, pour chacune des étapes traversées. L’épreuve est déjà conséquente, surtout que le jeûne d’une quête de vision se pratique sans boire d’eau, et que l’absence d’hydratation, durant 4 journée, est un challenge physique et moral important.
Comment se déroule une quête de vision ?
La préparation d’une quête de vision se fait plusieurs semaines à l’avance. Physiquement, il s’agit de se préparer à entrer dans un jeûne sec, certes d’une durée assez brève pour ceux qui ont déjà pratiqué le jeûne sur une ou plusieurs semaines, mais tout de même potentiellement éprouvant pour l’organisme. Émotionnellement, il s’agit de se préparer à quitter nos rythmes de vie, d’activité, et à entrer dans une phase de repli sur soi-même propice à l’extériorisation massive d’émotions de toutes sortes. Et concrètement, il s’agit de fabriquer 365 sachets de tabac de la couleur de son année de quête (rouge, pour moi, la première année), ainsi que les poteaux délimitant l’espace de la quête. Chaque sachet doit être conçu en conscience de la relation que l’on choisit de symboliser. C’est vraiment l’occasion de faire le tour de ses relations, et de choisir qui l’on veut placer autour de soi, en appui ou pour travailler le relation, durant cette quête.
La veille de la quête peut amener un état de fébrilité (en tout cas c’était le cas pour moi) : nous sommes au pied du mur ! Il s’agit de trouver un emplacement, ou de se laisser trouver par lui. De rendre hommage au lieu, d’y poser ses affaires : le minimum jugé indispensable par le quêteur (chacun estimera ce dont il a besoin : des vêtements ou non, un matelas ou non, une bâche pour la pluie ou non…). Le repas du soir sera frugal, s’il y a repas. Personnellement je choisis toujours de commencer un jeûne en ayant arrêté la nourriture solide au moins 1 à 2 jours auparavant, pour que la transition se fasse plus en douceur.
Le matin de la quête, le silence est déjà sur toutes les bouches. Après avoir déposé sa parole auprès du feu, qui restera allumé durant toute la quête - symbolisant le lien entre les participants, et le foyer auprès duquel se ressourcer en conscience – chacun est amené en silence dans son lieu de quête, les délimitations de l’espace (poteaux, fils et sachets de tabac) sont posées, le quêteur entre dans son espace intime par la porte qui correspond à son année de quête, puis l’espace est clôt derrière lui. Il restera dans cet espace, dans le silence, la solitude, souvent la nudité, et le jeûne sec, jusqu’à ce que le chaman vienne le chercher pour rentrer au « foyer », 4 jours et 4 nuits plus tard.
Comment ai-je vécu cette 1ère année de quête ?
Pour moi qui suis hyperactif, la perspective de passer 4 jours et 4 nuits, dans l’impossibilité totale d’occuper mon temps physiquement, était plutôt effrayante. La veille de la quête, j’étais déjà rentré dans le processus, et je me sentais dans une grande fébrilité. J’avais diminué progressivement mon alimentation depuis une semaine, comme je fais à chaque jeûne, et j’étais à jeun depuis la veille, en gardant tout de même un peu d’hydratation pour supporter le long voyage sous la canicule de l’été, pour arriver jusqu’au lieu du stage. Je n’ai pas beaucoup dormi la nuit. Nous avions décidé de faire la quête ensemble avec ma compagne, et nous passions notre dernière nuit ensemble avant de rejoindre chacun son lieu de quête, isolé dans la nature sèche et caillouteuse de la garrigue provençale.
Le matin, quand mon tour est venu d’aller vers mon lieu de quête, je sentais une oppression dans ma gorge. Le jeûne ne me faisait pas peur, c’était vraiment la perspective de devoir être présent au temps qui ne passe pas, à chaque instant, durant ces longs jours, qui m’effrayait. J’avais vécu, déjà, une expérience du temps qui n’en finit pas de ne pas passer, durant une cérémonie nocturne avec une plante maîtresse. Je savais que j’avais passé cette épreuve, mais je savais aussi à quel point cela pouvait être insupportable pour moi de vivre cet extension indéfinie de la ligne temporelle.
1er jour, 1ère nuit.
Au moment où je me suis retrouvé seul dans mon espace de quête, le chaman étant parti, j’ai senti cette angoisse monter très fort en moi. Comment serai-je 4 jours et 4 nuits plus tard ? Dans quel état ? Aurai-je réussi à garder ma santé mentale, que je sentais vaciller ? Je me suis alors plongé dans ce à quoi je m’étais raccroché la nuit de la cérémonie, quand je sentais mon esprit qui pouvait basculer à chaque instant dans un espace qui me terrifiait. Mon ancrage avait été la confiance totale dans l’instant présent. L’abandon à ce qui est vivant ici et maintenant, sans aucune référence au passé ou à l’à-venir. Quand je revenais à ce pur instant, l’angoisse s’apaisait, tout redevenait supportable, et j’avais cette nuit-là été saisi d’un joie innommable, d’une euphorie d’enthousiasme. Mais ce n’était qu’une nuit, quelle que soit la durée subjective qu’elle avait prise dans mon esprit. Et aujourd’hui, il me faudrait reproduire ce retour à l’instant présent un nombre probablement illimité de fois. C’était cela qui effrayait mon mental. Je me mis donc résolument dans cet état d’esprit : accueillir « ce qui seul existe ici et maintenant » : mon présent.
Cela me soulagea profondément, et je passais toute une journée à revenir, dès que je me sentais m’éloigner, vers cet accueil du pur instant présent. La méditation de la pleine conscience, sous toutes ses formes (dont la plus rude me semble être la retraite Vipassana), ne fait pas autre chose ; mais je n’ai jamais réussi à méditer très longtemps : il me fallait donc cette épreuve pour accepter la chose, dans l’impossibilité de faire autrement.
La lente, très lente course du soleil au dessus de ma tête, à travers les arbres sous lesquels je m’étais réfugié pour ma quête… L’attente de l’instant où le soleil se coucherait enfin… Le retour toujours renouvelé vers l’instant dans lequel on n’est plus dans cette attente… Les aller-retour innombrables que j’ai dû faire durant cette première journée… Je me disais que si la nuit avait la même longueur que le jour, je ne savais si j’oserais affronter une nouvelle journée et une nouvelle nuit de cette durée. Et il y en aurait 4 …
Paradoxalement, la nuit est passé assez rapidement. Après un temps indéfinissable, pendant lequel je la voyais s’installer tout doucement, je suis tombé dans une torpeur dont le matin m’a arraché avec étonnement. J’avais passé la 1ère journée !
2ème jour, 2de nuit.
Après cette petite « victoire » de la 1ère journée (correspondant à la mentalité du « guerrier », dans laquelle je m’étais positionné pour cette quête), j’envisageais assez sereinement la seconde journée. Mon mental semblait apaisé, je ne souffrais absolument pas de la faim ou de la soif, j’étais un peu plus confortable que la veille dans mon corps, malgré l’absence de mouvement – si ce n’est un « gigotage » permanent pour trouver une position dans laquelle je puisse rester plus de 2 minutes. Je décidais de pratiquer cette méditation de la présence toute la journée, et les jours suivants aussi.
Cela me donna du courage et une sérénité qui tourna bientôt (je ne saurais donner de repère temporel) à la joie. Je sentais cette euphorie, ressentie durant la nuit cérémoniale, revenir en pleine journée, je ne voyais aucun signe de fatigue, de stress corporal, malgré mon ventre vide depuis maintenant presque 3 jours (avec le jeûne préparatif et les lavements effectués, il n’y avait réellement plus grand-chose pour le remplir!) et ma gorge sèche. Cela n’avait rien à voir avec les précédentes expériences de jeûne que j’avais faites, et l’état de fébrilité par lequel je passais toujours à l’approche du 3ème jour – ce qui s’explique physiologiquement par le passage d’une filière métabolique à une autre. J’ai commencé à me dire que, peut-être, j'étais en train de faire l’expérience de ce qui m’attirait depuis quelque temps : le pranisme. La confiance en moi a augmenté durant cette journée, jusqu’à devenir une forme d’orgueil, à me dire et me répéter que oui, j’étais en train de faire cette expérience…
Et puis le couperet est tombé, et avec lui la couleur de cette première année : l’humilité. Mon corps a subi un revirement que je ne saurais décrire autrement que comme un profond inconfort. Ce n’était pas la faim, ni la soif. Quelque chose d’indéfinissable, qui m’a replongé dans l’état que je ne voulais absolument pas vivre : le sentiment que jamais je ne sortirai de l’inconfort présent. J’ai compris alors, dans mon corps, ce qu’est l’humilité. Cette compréhension est certes passé par une forme d’auto-humiliation – ou encore d’auto-flagellation, si cela parle plus – ce qui ne me semble pas profondément nécessaire aujourd’hui. D’autres voies plus douces sont possibles. Mais à cet instant, c’est ce que j’ai vécu. Et j’ai compris aussi ce que les amérindiens appellent « vision » : il ne s’agit pas nécessairement d’une « apparition », d’une image ou d’une scène qui se joue devant les yeux de la conscience. Il s’agit bien plus souvent d’un enseignement, d’une profonde compréhension qui se fait dans le corps, et non pas dans le mental seulement.
La compréhension de l’humilité était donc ma première vision.
Je ne sais plus combien de temps tout cela a pris. Le temps était élastique. Je sais que la seconde nuit est arrivé à un moment, aussi interminablement lente à venir que la précédente. Mais cette nuit j’ai moins dormi, ou plutôt j’ai mis plus longtemps à tomber dans cet état léthargique qui ressemblait à une pause offerte dans l’épreuve traversée.
3ème jour, 3ème nuit.
Le matin du 3ème jour, je me suis réveillé avec cet enseignement en tête. Garder l’humilité. Comme le jour précédent, mon corps semblait tout à fait serein, lui. Je me sentais plus en forme que la veille encore, et je décidais même de me lever, moi qui était resté assis ou couché 48h, pour voir si je réussirais à tenir debout. Certes la tête tournait au début, mais très vite, en me tenant à un poteau, je pouvais tenir debout, et j’avais la joie de laisser mon regard se porter au-delà de la frontière de mon cercle de quête. Je sentais aussi à quel point mon espace se transformait, et devenait un lieu sécurisant, comme une matrice maternelle, au lieu d’être vécu comme une cage oppressante. Enfin, je n’oubliais plus de joindre l’humilité à la confiance corporelle que je ressentais. Et à rester là, ici et maintenant. Juste là.
Je ne me souviens plus de tout ce qui s’est passé durant ce 3ème jour, il y a une telle infinité de détails dans une seule journée, quand on ne fait qu’écouter ce qui vient… Je sais que la matinée a été teintée d’une légère pluie, tout juste suffisante pour me faire tendre le gosier comme un oisillon dans son nid, dans l’espoir de recevoir une goutte rafraîchissante. Puis la pluie s'en est allée comme elle était venue, et a laissé place à un ciel de plomb qui a duré un semblant d’éternité. Chercher l’ombre d’une branche. Accepter l’inconfort. Un slogan qui se transformait en leitmotiv...
J’ai oublié de préciser que j’étais totalement nu, depuis le première jour, sauf quand je ressentais le froid arriver le soir ou au petit matin. La nudité a ceci de beau qu’elle dévoile la profonde vulnérabilité du corps, et qu’elle met – si on n’est y est pas habitué – dans un état de dénuement qui encourage le retour à l’essentiel, l’humilité. J’avais choisi aussi de ne pas prendre de matelas ni d’oreiller, encore moins une tente : une couverture et une bâche au cas où il pleuve vraiment, voilà tout.
J’avais pris une bouteille d’eau aussi. Parce que j’avais compris, d’un autre témoignage, que la panique pouvais être vraiment déstabilisante si on souffrait de la soif sans avoir même la possibilité de l’étancher. Alors qu’avec cette sécurité, l’on pouvait envisager plus sereinement l’épreuve de la soif, et l’affronter – c’est ma manière guerrière d’envisager la chose – plus en confiance. Or je n’avais pas véritablement soif, étrangement. Mais la gorge était de plus en plus inconfortable, sèche. J’avais donc décidé, au matin du 3ème jour, de laisser une petite gorgée de cette eau emplir ma bouche, pour sentir le plaisir de l’humidité, puis de la recracher en dehors de mon cercle de quête. C’était un instant de plaisir vrai. Un hommage profond à l’eau. A sa délicatesse, à son goût, que trop souvent je ne sens pas.
Le soucis, c’est que durant cette journée, quand le soleil a commencé à peser lourdement, la tentation de reprendre à nouveau un peu d’eau dans ma bouche est venue. Très souvent. C’était un sacré défi : travailler la volonté, rester dans les principes que je m’étais fixé ; et en même temps ne pas trop jouer au guerrier, accepter de transiger avec ces principes rigides, de les questionner, de pouvoir négocier. Chercher le juste milieu. La position mentale avec laquelle on sera confortable. J’essayais de garder la bouche fermée, m’apercevant que c’était quand elle était ouverte qu’elle s’asséchait plus vite. Mais ma respiration en souffrait, et je n’étais pas aussi à l’aise dans mon corps, ayant l’habitude de respirer par la bouche… Finalement, le meilleur compromis que j’ai pu trouver, ce jour-là, fût de m’autoriser à quelques gouttes d’eau sur le palais, 4 à 5 fois dans la journée peut-être, pour pouvoir profiter pleinement de ma respiration, la bouche ouverte.
Respirer…
Cette nuit-là je ne dormis que très peu, et jamais je ne sentis ce soulagement de me réveiller après un phase de profond sommeil, comme une pause dans le processus. La nuit passa, comme le jour qui l’avait précédé, à observer ce qui se passait en moi et en dehors de moi. Ce fut long. Je pèse mes mots…
4ème jour, 4ème nuit.
Le quatrième matin, j’attendais, comme la veille – mais avec plus d’insistance peut-être – de voir enfin le soleil se lever, petit à petit, nanomètre par nanomètre. J’avais hâte de pouvoir faire le chekpoint corporel que j’avais fait la veille déjà, comme si l’installation de ce rituel pouvait me sortir un peu de l’éternité du temps présent. J’avais hâte de me dire aussi, certainement, que ça y était, c’était le dernier jour de quête ! J’appréhendais un peu le soleil, qui avait été très présent la veille, mais j’appréhendais l’absence de soleil, qui rendait l’attente plus longue encore, en enlevant le seul repère temporel (la course infiniment lente du soleil) qu’il me restait. Un fameux dilemme…
Au niveau corporel, j’étais dans une forme olympique – toutes mesures conservées n’est-ce pas ! - et c’est avec plaisir que je me levais, que je faisais quelques exercices de yoga, que je tenais debout sur une jambe, puis que je faisais même quelques abdominaux au sol. Je sentais que mes forces revenaient progressivement, malgré l’engourdissement provoqué par les positions statiques. Je sentais que j’avais envie de bouger, de sortir du nid, de déployer mon énergie. J’avais arrêté deux ans auparavant le sport que j’avais fait en compétition durant 17 ans : le hockey subaquatique. Les jeûnes successifs et la découverte de mon corps sensitif, caché derrière mon corps de guerrier, m’avaient enlevé toute envie de faire de la compétition. Mais là, nu et à jeun depuis 5 jours, je sentais l’énergie monter en moi, et j’avais une grande envie d’un match de hockey…
Je sentais aussi l’appréhension de retomber dans l’état d’inconfort successif à la trop grande confiance du 2d jour, et je restais résolument dans l’humilité. Non je n’étais pas pranique ou respirianiste, me disais-je. J’étais juste en train de faire l’expérience de ma propre puissance, jointe à ma vulnérabilité. Peut-être est-ce le chemin vers une forme de pranisme. Mais je décidais de ne pas m’attacher à cela. Demain, ce serait fini et peut-être que je mangerais à nouveau. Mais avais-je envie de manger ??? Je voyais bien que non, que j’avais envie de prolonger l’expérience. Et en même temps envie de profiter du rituel final de la reprise collective de nourriture. Ne pas m’isoler du groupe, ne pas « faire le beau », ne pas me sentir au dessus des autres, comme cela m’arrivait régulièrement…
Ce jour, le soleil se leva pour se recoucher aussi vite, sembla-t-il. Ou plutôt, d’épais nuages recouvrirent tout, et il fallu attendre – non ! pas attendre, c’est encore ne pas accueillir l’instant ! goûter, c’est déjà mieux dit !- que le temps fasse son travail, pendant que je faisais le mien…
Je m’aperçois que j’ai oublié de préciser deux détails fondamentaux, par rapport à la nourriture et à la boisson. La veille de la quête, notre chaman-helpeur nous avait donné quelques conseils pour nous nourrir, si nous ressentions trop le besoin de manger ou de boire. Nous étions 8 à quêter, et il était seul à nous assister de l’endroit où lui-même se tenait, près du feu qu’il entretenait jour et nuit. Il veillait, « dans l’énergie » comme il disait, sur chacun de nous, et se nourrissait lorsqu’il sentait le besoin de le faire.
Son premier conseil avait donc été de ne pas hésiter à lui demander, mentalement, de la nourriture, lorsque nous en sentions le besoin. Peut-être se sentirait-il alors appelé à manger, et cela nous nourrirait aussi. J’aimais cette idée, même si je ne pouvais lui trouver aucun ancrage empirique ou rationnel. Cela faisait longtemps que j’avais accepté que la seule chose qui compte pour moi, par rapport à une idée que je peux avoir, c’est son efficacité pratique. Je décidais donc de lui demander, à quelques moments, de manger pour moi un fruit, une pêche par exemple. C’était plus de l’amusement qu’un besoin, car je n’avais pas faim, en réalité. Mais cela m’amusait beaucoup.
Le second conseil qu’il nous avait donné concernait la boisson. Il s’agissait, pour lui, de tenter de s’hydrater par le coccyx. En reliant (mentalement) ce point à la terre, et en imaginant une étendue d’eau sous notre corps, nous pouvions absorber la fraîcheur de l’eau, et rendre à la terre notre eau sale, nos émotions négatives. Je décidai de pratiquer ce rituel quand j’y pensais, et en réalité je le fis peut-être 4 ou 5 fois durant la quête. Mais à chaque fois je ressentais une grande fraîcheur dans le bas du dos, et bientôt dans tout mon corps. Réalité ou auto-persuasion ? La différence n’a pas lieu d’être dans ma conception pragmatique : ce qui est efficace est vrai, pour moi.
La 4ème journée passa donc, comme les précédentes, bien qu’allongée encore par l’absence de repère temporel venant du soleil. Il fut plus difficile aussi de voir le jour se coucher et la nuit s’installer. La transition ne se faisant pas aussi bien que les jours précédents, j’entrais dans la nuit comme si c’était encore le jour. Je n’étais absolument pas fatigué, je n’avais aucunement sommeil, et la seule chose qui me réconfortait, c’était que le lendemain matin, enfin, la quête toucherait à sa fin.
Cette nuit fût la plus longue de tout le processus, évidemment. Curieusement, je ne me souviens plus de tout ce qui s’y est passé, et je sais pourtant qu’elle fût fondamentale pour moi. Un point de basculement. Quelque chose que mon mental a peut-être choisi de ne pas retenir, pour qu’il ne puisse pas s’y accrocher, l’interpréter, et le placer dans son Tétris rationnel et conceptuel. Mais c'était fort...
Je me souviens d’avoir été pris à un instant d’un sentiment de félicité innommable. Un peu comme quand je suis en apnée basse, après avoir expiré tout mon air, et que je ressens la plénitude d’être totalement vide d’air, et pourtant si serein. Mais cet instant de vacuité semblait se prolonger indéfiniment ! Pourtant il s’est arrêté à un moment, et je n’ai pas réussi à le retrouver par la suite…
Et la nuit a finalement passé…
Le retour.
Le matin du 5ème jour, mon énergie corporelle était au paroxysme. Je sentais bien que mon ventre était vide et que je n’étais pas hydraté. Je ne sentais pourtant ni la faim ni la soif. Je ne voulais qu’une chose : retrouver ma compagne, que j’imaginais souvent, durant cette quête, dans son propre espace, dans sa propre intériorité. Le temps était venu, et je bouillais d’impatience. Quand le chaman est venu me chercher, m’apportant une tisane chaude pour me désaltérer, et quelques oléagineux, je ne sentais pas le besoin de manger. Je bus tout de même la tisane, pour me dire clairement que le temps était venu, que je pouvais revenir doucement à mon mode de vie habituel : manger et boire.
Les retrouvailles avec ma compagne furent intenses. J’avais besoin de lâcher, dans ses bras, tous ces pleurs qui témoignaient de l’intensité de ce que j’avais vécu. Elle avait bien maigri, me semblait-il. Moi aussi, apparemment ! 4 kg perdus en 4 jours de quête. Et une énergie folle, que je gardais jusqu’au repas du midi – assez frugal, somme toute. La digestion aidant, les corps s’assoupirent, la torpeur gagna le groupe. C’était la fin de cette quête, que chacun avait eu le loisir de relater aux autres durant la matinée.
Fin.
Lien vers l'organisateur du stage de cet été :
https://descouleursdanstavie.org/events/quete-de-vision/
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